Photographie, un demi-siècle avec des boitiers argentiques

Autoportrait de Jean-Paul FLEURY à Berkeley. 1957 / Foca sport (film 35).
Passionné de photographie, mon père a utilisé des boitiers argentiques pendant un demi-siècle pour réaliser ses clichés en 616 ou 35 mm.

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La photographie comme héritage

Après les obsèques de mon père, je récupérais tout ce qui pouvait avoir un lien avec sa collection photographique. Ainsi dans 120 m2 de souvenirs, j’y collectais 8500 diapositives, 8400 négatifs et 18800 tirages papier. Je réunissais également plusieurs centaines de films de tout format (8 mm, VHS, …).

Dans un recoin de ce qui avait été ma chambre autrefois, je découvrais alors un carton sans annotation particulière. Plusieurs appareils photos argentiques y étaient entassés avec quelques accessoires. La plupart étaient sans objectif, l’un de mes frères les ayant captés par le passé.

J’ai eu le pressentiment que cette découverte était importante, comme un trésor, sans pouvoir clairement l’expliquer sur le moment. Ce fût pour moi bien plus émouvant lorsque je pu finalement lier ces boitiers avec les milliers de négatifs numérisés. Pendant un demi-siècle, mon père a fait de la photographie avec des boitiers dont il ne s’était jamais séparé !

Restauration ?

Alors que je numérisais patiemment les négatifs, j’ai eu pour projet de faire un jour une exposition. À cette occasion, je me suis dit que cela pourrait être sympathique d’y présenter également les boîtiers argentiques. Montrer en quelque sorte aux visiteurs le matériel, sous cloche, avec lesquels ont été réalisés les clichés exposés !

Et pourquoi ne pas refaire de la photographie avec ces appareils ? Étant incapable d’évaluer leur état respectif, j’ai confié, non sans crainte, les boîtiers argentiques à un spécialiste à Paris. Le bilan est arrivé quelques semaines plus tard. Le Foca Sport était trop attaqué par la corrosion donc irréparable. L’Universa Interflex TL était trop rare pour retrouver la pièce nécessaire à sa remise en état. Reste donc aujourd’hui le Nikon FA de 1983 pleinement révisé auquel j’ai ajouté un objectif 75-150 mm d’occasion. Enfin, Le viseur du Kodak Senior Six-16 de 1938 a été réparé. Je l’ai également doté d’un adaptateur pour film 120 mm. En effet, le format 616 mm n’existe plus depuis longtemps.

Les réutiliser ?

Choisir le moment pour refaire de la photographie avec le Kodak Senior Six-16 va être un défi. Il va falloir « apprivoiser » l’appareil et gérer les 12 clichés maximums possibles avec une pellicule 120 mm ! Cependant, bien que le coût des pellicules semble contenu, il vaut mieux ne pas rater son cliché ! En effet, si on ajoute le développement, on obtient, à l’unité, un négatif pour environ 2€…

Concernant le Nikon FA, j’aurai un peu plus de facilité, non seulement dans les réglages mais également en capacité. On trouve en effet facilement des pellicules au format 35 mm, en 24 ou 32 poses. Avec le développement, le coût à l’unité d’un négatif reste inférieur à 1€. Cependant, il ne faut pas envisager de faire des rafales…

Des manières différentes de faire de la photographie

Dans le fond photographique laissé par mon père, j’ai de temps à autres numérisé des pépites. Par exemple, cette série de clichés au format 616 prise en 1952 dans le port de Cherbourg. Sur la dizaine de photos, le cadrage, l’exposition, le noir et blanc sont dingues, avec une netteté extraordinaire.

À contrario et pour exemple, la série sur les trains réalisée en 1949 dans le Cotentin est moins réussi. Sujet difficile donc mise au point souvent raté, … Manifestement, il est difficile de capter une locomotive lancée à pleine vitesse, même à vapeur. Il y avait peut-être aussi un manque de maîtrise dans l’utilisation du Kodak !? À cette époque, ni mon grand, ni mon père, alors âgé de 17 ans, n’avait eu le loisir de se perfectionner avec un tel appareil.

Dans tous les cas, la photographie argentique imposait une réflexion générale avant de prendre un cliché. Il y avait donc nécessairement un temps pour l’observation ce qui n’existe plus que chez les artistes aujourd’hui.

En effet, avec le matériel numérique, on peut photographier sans aucune limite. Donc sans prendre la peine de réfléchir à son sujet, de chercher le bon réglage ou la bonne exposition. On mitraille en mode automatique et on verra après… Je crois que certains ne prennent même plus la peine de regarder, vraiment, ce qu’ils photographient !

Photographie d’avant-guerre

Du côté de mon grand-père, la famille FLEURY a semble-t-il eu très tôt en son sein un féru de photographie. En effet, j’ai retrouvé dans la collection des clichés datant d’avant la première guerre mondiale.

Ce passionné était Alexandre Eugène, frère cadet de mon grand-père. Il réalisa des portraits de famille dans l’avant-guerre et même des photographies au front durant 14-18. Au combat, il adressait régulièrement les négatifs à ses parents avant de perdre la vie en 1918. Dans ses cantines d’officier qui revinrent à la maison, 2 appareils photos, des films et du matériel de développement. Cet engouement pour la photographie perdurera malgré tout dans la famille. Mon père aura eu le temps de développer cette passion au maximum qu’il est possible pour un amateur.

Histoire et spécificités du Kodak Senior Six-16

La mère de mon père, Fernande, fait l’acquisition d’un appareil photo Kodak Senior Six-16 en 1938. Jean-Paul, mon père, n’a alors que 6 ans. Peu utilisé, c’est finalement lui qui le reprend courant 1949. Il a alors 17 ans et il utilisera le Kodak jusqu’en 1957. Cette année-là, il le remplacera par un matériel plus moderne pour l’époque lors de son départ aux USA.

Les appareils photo Kodak Senior Six-16 ont été fabriqués par la société Eastman Kodak de 1937 à 1939. Ils sont équipés d’un objectif Kodak Anastigmat (f 6,3 128mm), d’un obturateur Kodak Dakar N°1 (T- B-10-25-50-100) et d’un diaphragme Iris (6,3-8-11-16-22-32). La mise au point s’effectue par rotation de la lentille frontale de 2m à infini (échelle métrique). Le format de la pellicule est de 6,5x11cm sur film 616 avec une capacité de 16 photos. L’appareil est plutôt lourd avec un poids nu de 783 grammes. Une fois replié, il apparaît compact et facile de transport pour l’époque.

Le film 616 a été initialement produit par Kodak en 1932 pour l’appareil photo Kodak Six-16. Il a produit des négatifs de 63,5 mm × 108 mm soit à peu près de la taille d’une carte postale. C’est donc un support approprié pour faire une impression par contact sans avoir besoin d’un agrandisseur. Un film 616 produit des négatifs 3 fois plus grands qu’un film 35 mm !

Famille réunie pour la profession de foi de François DAMOURETTE à Toutfresville. Son cousin, Jean-Paul FLEURY est à gauche, en tenue de style « Tintin ». 1946 / Kodak Senior Six-16 (film 616).
1946 / Profession de foi de François DAMOURETTE ; son cousin, Jean-Paul FLEURY est à gauche, en tenue de style « Tintin ».

Histoire et spécificités des Foca Sport

Fabriqué par la société française OPL*, le Foca Sport a commencé sa carrière en 1954. Il ne dispose que d’un simple viseur, sans télémètre et d’un obturateur central (pose B et 1-1/2-1/5-1/10-1/25-1/50-1/100-1/300 de seconde). De plus l’objectif est fixe, non interchangeable (Néoplar 2,8 de 45mm à grande profondeur de champ, calculé pour la couleur). Jean-Paul en fait l’acquisition lors de son départ aux USA en 1957. C’est un boitier dit compact 35 mm analogique.

(*) OPL pour Optique de précision de Levallois.

Foca Sport 1 (1954-1970) Fabriqué par la société française OPL (Optique de précision de Levallois) Foca, le Foca Sport a commencé sa carrière en 1954 et a fait la joie de toute une génération d'amateurs.
Foca Sport 1 (1954-1970)

Dans le carton trouvé chez mon père lors de sa succession en 2018, j’ai retrouvé 2 boîtes d’emballage Foca. L’une correspond au modèle Sport et l’autre au Sport 1. Mon père m’avait raconté que son premier exemplaire avait eu une fin prématurée. En effet, après un bivouac dans la Vallée de la Mort en 1958, il avait entendu un bruit derrière la voiture. Une fois à l’arrêt, mon père avait constaté que son appareil photo en était à l’origine. Il était accroché par la sangle de cou au parechoc de la Chevrolet et il rebondissait sur la route…

Jean-Paul rachètera un Foca à Las Vegas et utilisera le modèle Sport « 1 » jusqu’en 1970 !

Histoire et spécificités de l’Universa Interflex TL

En 1970, Jean-Paul doit renoncer à son Foca qui a rendu l’âme et il se procure un Universa Interflex TL. C’est en fait l’équivalent d’un Ricoh Singlex TLS. L’Universa Interflex TL est un appareil photo reflex. Il a été développé par la société japonaise Cosina dans les années 1960. Le nom original pour ce modèle est Cosina Hi-Lite. L’importeur européen Universa Fototechnik GmbH a proposé cet appareil sous le nom de Universa Interflex TL. Il n’a été commercialisé qu’à des clients en Allemagne de l’Ouest et en Europe. C’est un reflex 35 mm analogique.

Universa Interflex TL (1970-1983) L'Universa Interflex TL était fourni avec un objectif à vis Universon en f1.7 50mm avec mise au point manuelle (encore une marque inventée par l’importateur) ; il s’agissait probablement d’un objectif développé à l’origine par Zeiss. L'Universa Interflex TL dispose d’un posemètre et a été conçu pour travailler avec des films avec un ISO de 25 à 1600, avec une exposition mesurée à travers l'objectif et offrant la possibilité de configurer individuellement l'ouverture et la vitesse d'obturation.
Universa Interflex TL (1970-1983)

L’Universa Interflex TL était fourni avec un objectif à vis Universon en f1.7 50 mm avec mise au point manuelle. Universon était encore une marque inventée par l’importateur. Il s’agissait probablement d’un objectif développé à l’origine par Zeiss. L’appareil photo disposait d’un posemètre et avait été conçu pour travailler avec des films présentant un ISO de 25 à 1600. L’exposition était mesurée à travers l’objectif et offrait la possibilité de configurer individuellement l’ouverture et la vitesse d’obturation. Mon père utilisera cet appareil jusqu’en 1983 où le levier d’armement lâchera.

Universa Interflex TL (1970-1983) L'Universa Interflex TL était fourni avec un objectif à vis Universon en f1.7 50mm avec mise au point manuelle (encore une marque inventée par l’importateur) ; il s’agissait probablement d’un objectif développé à l’origine par Zeiss. L'Universa Interflex TL dispose d’un posemètre et a été conçu pour travailler avec des films avec un ISO de 25 à 1600, avec une exposition mesurée à travers l'objectif et offrant la possibilité de configurer individuellement l'ouverture et la vitesse d'obturation.
Universa Interflex TL (1970-1983)

Nikon FA

Cet appareil sort en 1983 et est doté du premier posemètre multizone (5 zones) jamais fabriqué. Son obturateur électronique monte jusqu’au 1/4000eme de seconde avec une synchro flash au 1/250eme. Mode manuel, priorité diaphragme et vitesse, mode programme, c’est le Nikon FA est un appareil vraiment agréable à utiliser. Son viseur n’est pas aussi lumineux que ceux des Minolta de la génération X700. En revanche son ergonomie est excellente et son obturateur bien meilleur. Il est équipé du moteur MD 15 montant jusqu’a 5 images par seconde et du très bon 85mm f=2. Objectif que je n’ai hélas pas retrouvé…

Nikon FA (1983-2002) Premier appareil photographique reflex avec contrôle matriciel de l'exposition, et a été fabriqué de 1983 à 1988.
Nikon FA (1983-2002)

Jean-Paul utilisera le Nikon FA jusqu’en 2002. Bien que celui soit encore pleinement fonctionnel, la disparition progressive des labos de développement poussera mon père à renoncer à ce boîtier. Il passera, presque contraint, au numérique sans jamais s’y adapter. Il n’y retrouvera pas les sensations que furent les siennes avec des boitiers analogiques. Pour exemple, il ne maitrisera jamais la résolution produisant et sauvegardant ainsi des clichés en basse résolution, inexploitables à l’impression. Avec le temps qui passe, l’envie n’était plus là non plus…

Nikon FA (1983-2002) Premier appareil photographique reflex avec contrôle matriciel de l'exposition, et a été fabriqué de 1983 à 1988.
Nikon FA (1983-2002) ; premier appareil photographique reflex avec contrôle matriciel de l'exposition fabriqué de 1983 à 1988.

La photographie comme moyen d’expression

Tels les stylos d’un écrivain ou les pinceaux d’un peintre, je conserve précieusement les appareils photos de mon père. Ils lui auront été si chers et ils me permettent aujourd’hui de ressentir encore ses émotions au travers de ses clichés. De même, dans sa façon de poser son regard sur les choses qui l’entouraient et dans les détails qu’il a pu percevoir.

Ce fût probablement et longtemps pour lui un besoin irrépressible de photographier. Comme s’il avait trouvé dans cet art si particulier une façon d’exprimer ce qu’il était. Contournant ainsi une éducation trop stricte pour dire simplement qu’il aimait.

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